Monsieur le Délégué, Mesdames, Messieurs,

Une page vient de se tourner, nous avons changé de ministre des Armées.

Rappelons qu'il y a quatre ans, la ministre vous confiait un bien curieux mandat. A en lire les échos de juillet 2018, vous deviez, je cite, "secouer une maison DGA de plus en plus sclérosée". Ce même canard trouvait opportun de taxer la DGA " de vieille dame un peu larguée », et trouvait adapté de faire cautionner cet avis auprès d'un brillantissime patron de start-up.

C'est dire le mépris que certains pouvaient avoir envers la DGA, envers les 10.000 agents que nous représentons. Ce courant d'influence séduira malheureusement nos grands décideurs, avides de réaliser de mesquines économies financières sur le budget consacré aux ressources de la DGA.

Nous connaissons tous la suite de l'histoire : une Loi de Programmation Militaire (LPM) 2019-2025 qui irrigue grassement nos industriels de l'armement, permettant d'engager 30 % de programmes supplémentaires. Ceci, sans augmenter en proportion les ressources de la DGA, qui devra rester une DGA à 10.000 pour conduire ce surplus de programmes.

Bien évidemment, l'avis du précédent Délégué - qui n'avait certes été à la tête de l'institution que 9 années durant – ne valait pas grand-chose face à celui de l'éminent patron de start-up précité. Rappelons tout de même quel était son leitmotiv : "la DGA était à l'os", martelait-il. Comprenez que la DGA était déjà dans un format optimisé, sans marges possibles, bref que ses ressources étaient incompressibles.

Quatre ans plus tard, la ministre précédente n’est désormais plus à la manœuvre. Il nous semble grand temps de dresser le bilan du mandat utopique qu'elle vous avait confié.

Tout d’abord, l’hypothèse fondatrice de cette LPM déséquilibrée s’est bien évidemment avérée être un échec cuisant. Nos industriels de l’armement - même largement financés - peinent toujours à mettre au point leurs systèmes, qui rencontrent toujours nombre de dysfonctionnements. C’est la direction de la DGA elle-même qui effectue ce constat et qui le retranscrit dans son Plan Stratégique des Ressources Humaines (PSRH). Ce défaut d’autonomie résulte d’un équilibre intangible qui doit exister entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre dans tout projet. Et le secteur de l’armement n’échappe pas à la règle. Vouloir rogner sur la part consacrée à la maîtrise d’ouvrage relevait bien plus de l'apprenti sorcier, que d'un choix réfléchi.

Depuis 4 ans, les programmes d'armement ont donc été lancés à une cadence inédite, voulue par cette LPM dispendieuse. Une charge de travail jamais atteinte s'est alors déversée sur les agents de la DGA. Bien évidemment, ces derniers ont pris à cœur de s'investir pour accompagner ces programmes, comme ils l’ont toujours fait.

Les semaines de quarante-cinq heures, puis de cinquante, puis de cinquante-cinq se sont alors enchaînées. Puis sont venus leurs soirées, leurs week-ends et parfois même, leurs nuits.

Certes, en surmenant ainsi ses agents et en faisant appel à leur conscience professionnelle, la DGA a obtenu de beaux succès à l’export, en coopération également. Elle est surtout parvenue à équiper les forces avec les systèmes d’armes attendus. Elle a enfin étendu son périmètre d’action en créant l’Agence de l’Innovation de Défense (AID) et l’Agence du Numérique de Défense (AND), ou encore en se renforçant massivement sur des axes nouveaux tels que l’Intelligence Artificielle (IA) ou la cyberdéfense.

Mais le surmenage des équipes qui ont fait ces succès, a désormais un prix : celui du surrégime, de l’usure prématurée des pièces de la machine. Ce travail en zone rouge ne peut devenir la norme, il ne peut plus durer. La plupart des agents de la DGA, que nous sommes allés rencontrer dans les centres, font état d’un rythme effréné, intenable et expriment leur ras-le-bol face à cette situation incontrôlée, face à des sollicitations incessantes qui leurs arrivent de toutes parts. D'autres agents, souvent parmi les plus consciencieux et tenaces, sont aujourd'hui victimes de burn-out, mis sur la touche avec des dommages irréversibles sur leur santé et leur carrière.

D'autres enfin ont fui la DGA, en précipitant leur départ à la retraite ou carrément, en démissionnant. Rappelons que nous en sommes à 70 démissions sur le premier quadrimestre 2022, c’est-à-dire que la DGA est sur un tableau de marche de rien de moins que de 200 démissions à l’année !

Quelle que soit la réaction propre à chacun, il est un fait que le ras-le-bol est général. Les cas de RPS, qui augmentent significativement, en sont l'illustration flagrante.

Enfin, puisque tout est affaire de gros sous dans cette LPM bancale, le ministère mène un politique salariale repoussante envers les employés, les ouvriers, les techniciens et les ingénieurs de la DGA. Les salaires indécents, désormais négociés au lance-pierre, sont de véritables épouvantails. Nos offres d'emploi ne suscitent donc plus de candidatures, les concours de recrutement sont massivement boycottés.

Pire, des effets pervers inédits se font jour du fait de cette LPM forcenée. Les industriels de l'armement, qui disposent désormais de moyens quasi-illimités, viennent piller la DGA en débauchant ses meilleurs ingénieurs, techniciens et ouvriers. Il convient de souligner à cet égard qu’ils sont financés en majeure partie par des marchés publics, passés par la DGA, marchés dotés de clauses de révision de prix annuelles qui leur permettent de couvrir les augmentations de leurs salariés vis-à-vis de l’inflation, alors même que l’Etat n’a pas augmenté ses propres agents depuis plus de 10 ans. Comment pourrions-nous rivaliser sur le plan financier ?

A vouloir faire accomplir par 10.000 agents « rémunérés au tarif de 7000 » le travail de 13.000, il n'était pas besoin d'être grand mage pour prédire cette situation de surchauffe, de fuite des cerveaux et talents. L’UNSA Défense vous avait d’ailleurs alerté sur cette anomalie dès votre prise de fonction.

Prisonnière de ce carcan financier, la direction de la DGA se débat de son mieux depuis quatre ans avec l'insoluble équation charge-capacité. Certes, une démarche de simplification est venue dégager quelques marges de productivité, mais sans commune mesure avec les 30% de programmes supplémentaires imposés par la LPM. Le pari était couru d'avance, il n'y avait forcément rien, ou très peu, à gagner à vouloir optimiser une structure qui l'était déjà. Fidèle à son ADN, la DGA a également montré la voie en maîtrisant parfaitement les risques durant la crise sanitaire, puis en transformant l'après crise en opportunité au travers de sa démarche de travail hybride. Elle se lance désormais dans un chantier sur la qualité de vie au travail. Sérieusement, la DGA est-elle réellement "une maison sclérosée" où plutôt une structure toujours à la pointe, une perpétuelle source d'innovation ? Pourquoi les autres services du Ministère la citeraient-ils si régulièrement en exemple si la DGA était vraiment "une vieille dame un peu larguée" ? Pourquoi la DRH-MD s'intéresserait-elle ces jours-ci à notre processus d'EIA si la DGA n'était pas avant-gardiste ?

Alors certes, on peut continuer à décider du sort de la DGA sur la base d'avis émis par des patrons de start-up. On pourrait aussi, pourquoi pas, s'en remettre à des cartomanciennes ou des marabouts, puisqu’il ne semble désormais ne plus il y avoir de limites aux références de nos décideurs.

Pour notre part, nous estimons à l'UNSA défense que le secteur de l’armement est à la pointe des technologies, le contexte international en atteste ; et que la conduite de ces projets à haute technicité est l’affaire de vrais professionnels, de choix rationnels, mûrement réfléchis et de moyens correctement proportionnés. Oui, il faut à la DGA des ingénieurs, techniciens, ouvriers et employés hautement qualifiés. Oui, pour disposer de telles ressources, il faut les rémunérer au prix du marché. Oui, les mises au point de systèmes complexes peuvent prendre le temps nécessaire, tous les grands leaders mondiaux de l’armement sont confrontés à cette nécessaire maturation de leurs systèmes. La suprématie d'un système d'armes ne peut être acquise qu'à ce prix. Pour pas cher, vite fait sur un coin de table et en confiant la conception du projet au dernier de la classe, on n'obtient que des sarbacanes ; nous le savions déjà tous depuis l’école primaire.

Il est également un principe universel dans notre société : qui casse paye. Et la DGA n’échappera pas à son application. Sans qu’elle ne soit encore totalement détruite, le surrégime forcené qu’on lui a fait subir depuis 4 ans, a endommagé nombre des rouages de cette machine autrefois optimisée. La plupart des agents sont en souffrance ; d’autres ne rêvent que de quitter l’enfer ; d’autres enfin ont déjà réussi à s’enfuir.

L’UNSA défense revendique donc « un plan de réparation pour la machine DGA ». Au-delà d’une indispensable cible d’effectif à 13.000 à atteindre le plus rapidement possible sur la base de recrutements réalisés majoritairement en sortie d’écoles, il faut impérativement redevenir attractifs, reconquérir et stopper la fuite « des personnels chevronnés » et fidéliser. Pour ce faire, il n’y a pas de miracle : il faut réaligner les salaires de nos agents, ainsi que ceux de nos nouvelles recrues, sur ceux du privé et prévoir des parcours professionnels et des évolutions salariales convenables. C’est la loi du marché et vouloir la transgresser, a mené au carnage que nous connaissons. Il faut enfin que ce plan de réparation de la DGA et du ministère dote les services de soutien du MINARM des moyens adaptés pour soutenir efficacement la DGA afin que les missions qui leurs sont dévolues ne soient pas réalisées par les personnels DGA au détriment de leur métier.

La veille dame un peu larguée et sclérosée - mais que vous n’êtes pas parvenue à totalement asphyxier - vous salue bien, Madame l’ex-ministre des Armées.

Nous vous remercions de votre attention.

Téléchargez la DL du CTR DGA du 29.06.22